Elle est sur le bout de la langue. Elle est presque.
Parfois, comme un parfum, une effluve, une sensation olfactive spontanée qu’on ne maîtrise pas, qui ne se retient pas, qui disparaît, une fois le battement de paupière écoulé.
Il me revient le rire de fils, quand il ne marchait pas encore, quand il se blottissait, quand il allait à quatre pattes, riait, sans que l’on en sache la raison, riait à quatre pattes, si fort, si longtemps, si complètement, si pur, il riait tant et tant, qu’il nous rattrapait, nous prenait de rire, par le son, la force, l’envie, la joie.
Alors on riait avec lui, à pleurer, et lui, du haut de son quatre pattes, il en tombait sur le ventre, d’abandon au rire absolu.
J’ai vieilli, le temps a passé, la vie aussi.
J’ai perdu un jour quelque part ce sentiment d’y croire, à la joie. Un jour d’un 7 janvier, par exemple. Quand le rire tuait.
Depuis, il m’arrive encore d’avoir un souvenir de cette joie. Cette innocence, cet instant où on fait semblant d’oublier, où plus rien n’est grave, la légèreté.
La joie et la légèreté.
Les ai-je jamais fréquenté de près ?
Alors je cherche encore. Je cherche ou l’oubli, ou le plein d’autre chose pour me couvrir de plumes. De plumes d’autruche peut-être. Ou du canard, pour qu’elle me coule dessus.
Je chante, j’essaie en tout cas, ça me concentre sur quelque chose que je cherche à rendre beau. Chanter pour faire du beau, du bien, donner de la joie, à soi-même peut-être en premier, même si, souvent, l’imperfection voile impudiquement cette joie interdite.
Elle se cache en effet. De peur de trop se montrer, de peur d’être salie par la morosité des autres. Elle peut rester à l’intérieur, blottie, pas tout à fait vraie, un sourire plus qu’un rire, elle ne se montre pas car elle peut se retrouver attaquée par la gravité.
Même des gens qui sont proches. La joie se partage, elle se ressent ensemble, elle devrait, mais elle peut paraître futile, trop rose, trop brillante, pas assez rustique, pas très utile et encore moins productive. La joie n’apporte rien. Elle ne remplit pas les ventres ni ne protège de la pluie, n’est-ce-pas ?
Alors elle se planque, en dedans, empêchée.
Il faut être seul parfois pour être joyeux.
Jusqu’au moment de se dire « ah j’aimerais qu’il voie ça » et elle disparaît. La joie d’être à deux. Au moins. Ou pas.
A quoi bon la porter à bout de bras, que le fardeau m’en tombe.
Finalement, ma joie est celle des autres. C’est plus sûr.
