Ce que voit la Sirène

La folie a emporté nos jambes, nos pieds, nos mains.

Nous avons éreinté nos corps à force de couteaux et de danses. Nous avons égosillé nos oreilles et affuté nos voix. Dunkerque est une folie à coeur ouvert, à corps chantant.

Nous voilà, un lundi matin, comme les lundi de rien, qui t’embrument le cerveau, en sachant que tu dois courage garder pour quelques heures de route et regagner le bercail.

Tu as encore un regain de joie car tu as rendez-vous avec les amis de la SNSM de Dunkerque, ceux que l’homme fréquente depuis 36 ans et moi plus de 10, 12 je crois.

Néanmoins quand le réveil sonne…

Alors tu jettes le sale dans la valise noire, le propre est encore plié dans la rouge, tu fermes la trousse de toilette et ton bagage à main où tout se cache en pagaille, où il faut fouiller pour trouver.

Tu descends dans l’ascenseur du fou rire (4 personnes et 300 kg, pas un de plus) et tu rejoins la machine à café de l’Hirondelle.

À 10:00 nous trouvons nos amis à la couleur d’un lever de soleil ou de nuit dans leur local où des photos tapissent les murs, des souvenirs, des moments forts, et puis une carte marine de la zone explorée par ces bénévoles, plus que bénévoles, benevolus, de bonne volonté.

À 10:30 nous sommes tous embarqué sur le Jean Bart II, beau canot, fiable, puissant, grand.

Cette balade est traditionnelle entre l’association de la Bouée Bleue et la SNSM. Sans que nous n’appartenions ni à l’une ni à l’autre formellement, nous en sommes membres, de coeur. Alors nous sommes les VIP d’une heure, avec une sortie rituelle, que nous offrons aux nouveaux, ceux des écaillers qui débutent avec nous, sans nous cacher que cette sortie est pour nous, notre plaisir.

Dunkerque et sa convivialité.

Nous dépassons la digue, la mer est d’huile, basse depuis 6 minutes sur le calendrier, il faut faire attention de ne pas toucher le banc de sable. Manu passe à l’ouest pour laisser le passage à un cargo qui est allège, le haut du bulbe bien au-dessus du niveau d’eau.Il fait le temps d’un petit pull, les lunettes de soleil sont de rigueur même si la brume dilue les lignes d’horizon dans le ciel ou bien dans la mer.

Au loin, nous distinguons à tribord le dos du Kursaal où nous avons oeuvré 3 jours sans avoir vu la lumière du soleil. La nouvelle esplanade où les gens font du roller ou de la poussette, espaces repensés dans la cohérence d’une vie entre terre et mer, en bord de ville.

Les pêcheurs de crevette profitent de la basse mer pour poser leurs haveneaux, qui se chargeront, l’espèrent-ils, de petits crustacés piégés au moment du flot.

Nous sommes vraiment paisibles, biens, heureux d’être ensemble.

Nous discutons, je fais des photos, babord, tribord, à la proue, à la poupe, dans la cabine, tous ces moments qui font un album de souvenirs.

Au loin de petites taches noires apparaissent à la surface de l’eau. Un matelot prend ses jumelles pour nous dire marsouin ou phoques. Nous sommes tous les yeux fixés à attendre que ces mammifères nous fassent l’honneur d’une danse.

J’ai dans mon coeur le souvenir des baleines, l’envie de la nage partagée, le mouvement gracieux des masses noires ou grises qui se jouent de nous comme le chaton et sa pelote de laine.

Une sorte de silence se pose entre les membres d’équipage quand au lieu de taches noires mobiles et joueuses on distingue à fleur d’eau ce qui semble être des sacs plastique. Manu ralentit pour faire la boucle qui peut permettre toute sorte de manoeuvres de sauvetage, la Boutakov peut-être pour celle-ci, et nous scrutons la mer pour deviner ce qui n’est pas un animal de mer qui fait rêver.

Alors, ils nous disent qu’en fait ce sont des vêtements de migrants.

Notre coeur se serre, je crois que nous espérons tous que ces habits sont vides, juste, vides.

La boucle de Manu est prudente, sérieuse, une gaffe longue d’au moins 3 mètres apparaît dans une main.

Nous avons quitté notre tranquillité pour amerrir sur un sol sensible. Nous avons la gorge qui se noue, et toutes sortes d’images nous traversent la tête.

Les habits sont vides.

Se sont des vestes.

Souvent des vestes de quart nous disent-ils. On sent à leur regard, à leur voix, qu’ils ont vécu des choses déjà, ces marins-là.

Nous tournons, au-dessus de ces vestes flottantes, mues d’un espoir perdu.

L’une d’elle appartient sans aucun doute, d’expérience de maman, à un enfant de 6 ou 7 ans.

Un enfant.

La Sirène, à distance de regard, ne sourit pas, presque elle voudrait détourner son regard, mais la mer l’entoure, elle n’y échappera pas.

La mer n’est pas une frontière.

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