Une histoire de bonne femme

La bonne femme.

Ça pourrait être ça. Une histoire de bonne femme.

Il y en aurait plusieurs, mais au final une seule suffirait.

Elle est veuve soudain. Il a crevé comme un rat mort, la tête la première, car de coeur il n’avait point. Elle en bavait, mais ne disait rien. C’est ainsi. On ne dit rien. On cache le dos qui se casse, on cache les larmes, on se tait, muette comme l’enfant qui ne sait rien, le singe et ses deux mains. Trois. Trois singes. Celui qui ferme sa mouth, celui qui close ses eyes, et le dernier qui bouche ses esgourdes, les trois singes humains, elle, elle et encore elle.

Il est mort, elle tombe de l’arbre. Un seul arbre. En plein milieu d’un désert, un désert humain. Ils ne voyaient rien les autres, enfin, ils étaient bien contents de profiter aussi du coeur sec, ils pompaient, les autres, ils pompaient jusqu’à la lie, le vin.

Il a claqué la gueule ouverte, la bouche pleine et l’haleine alcoolique, la laine tondue aussi. Elle a bien vu le rictus qui lui est resté, jusque dans le cercueil, celui qu’elle n’a pas pu fermer, car ils étaient nombreux, plein, les profiteurs, les bonimenteurs, tous ceux-là qui lui avaient grignoté l’âme, qui avaient tourné le dos quand il était encore temps, encore temps de sauver les miettes.

La bonne femme est veuve, elle ne sait pas encore si ça fait du bien.

C’est toujours comme ça, les rejetons, la maison, les trahisons. Elle va devoir ouvrir les yeux peut-être enfin. Elle va devoir rester debout, pour les siens, ceux qu’elle a fait avec lui, elle n’en n’a pas mémoire, du plaisir elle n’en n’avait pas, elle s’est laissé prendre, plusieurs fois, puisque les enfants sont là, elle s’est laissé défaire, ouvrir le ventre, un jour, une nuit, en plein après-midi, elle a oublié, le singe est sourd, aveugle et muet.

Il est mort, raide, le cul comme une planche, qu’elle va faire brûler.

Une fleur est née dans le jardin, une jonquille, un morceau de soleil échoué.

Elle va nettoyer la tombe, elle frotte, elle efface, chaque tour de bras pour un souvenir en moins, elle s’acharne, elle met sa haine entre ses mains et elle frotte, elle ne sait plus s’arrêter. Ça brille.

Elle entend un rire. Un rire venu de loin. Peut-être porté par le vent, emporté par une vague, la mer est toute proche, elle se redresse, sa main frémit, le torchon est noir, la pierre luit, le soleil se reflète, c’est l’heure de rentrer, de faire à manger.

La veuve.

On dit « la veuve » dans le quartier. Tous les autres cuvent leur vin encore, ils ne sont pas morts, on dit la veuve pour éviter de s’identifier. On dirait son nom, ça voudrait dire qu’on la connaît, si on la connaît, ça veut dire qu’il faudrait aller la voir, et aller la voir, c’est se voir en miroir, parce que tous les autres, ils crèveront de la même façon, elles le savent bien ces bonnes femmes, crénom.

Dans le jardin, les oiseaux chantent. Ils s’en foutent de la Faucheuse, ils se battent l’aile de l’Ankou et de sa charrette, ils chantent à cause de la jonquille qui a fait son trou, elle a pointé le bout de son nez, elle a explosé sans prévenir. La veuve rit.

Il lui prend l’envie de tout jeter, de casser à n’en plus finir, de danser sur les tessons brisés, à s’envoler, elle pourrait danser jusqu’à la pleine lune, les autres n’y verraient encore rien, ou peut-être qu’ils regarderaient derrière leurs fenêtres aux rideaux tirés, peut-être que ça les feraient bander, de la voir danser, ça fait bien longtemps qu’ils ont oublié ce que c’est, à force de se vautrer.

Au petit matin, la brume adoucirait les contours, effacerait les miasmes de la nuit. La veuve aurait tout ramassé, plus rien à traîner ni par terre ni sur ses pieds, on viendrait prendre un café, peut-être que ce serait l’heure de boire un coup, si ça se trouve, on se noierait dans le verre, les verres profonds, jamais vides, on referait le monde, le monde comme on voudrait, un peu flou, si on avait su.

La veuve se marre.

Il l’a plantée là, avec ses mioches et le voisinage, elle s’en balance, elle casse la vaisselle, elle est veuve et fait ce qu’elle veut.

 

 

1 commentaire

  1. Il y a des veuves heureuses, des veuves libres, des veuheureuses débarrassés d’un tyran, d’un absent trop présent, d’un mal aimé, d’un subit. Mort subite, ouf enfin. Ma grand-mère fut de celles qui purent démarrer leur vie ce temps venu. Je m’en suis toujours souvenue

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