En passant

La classe de Monsieur Blanc, 1982/83

La classe de monsieur Blanc…

Et le Lion de Kessel.

C’est le deuxième plus fort souvenir de cette année là, la découverte de l’effet d’un livre sur moi. Grâce à monsieur Blanc, qui n’avait de blanc, finalement, que la barbe.

Rendons hommage au photographe qui nous a placés en plein milieu de la cour, face aux classes et au préau ombragé, sous le soleil de l’après-midi. Aucun de nous ne sourit, nous luttons pour garder les yeux ouverts.

Regarde, comme mon col de t-shirt est bien fermé, ma barrette adhérant à mes cheveux qui, comme de droit, sont parfaitement alignés. Je suis arrivée depuis peu, pas encore créolisée, encore tout à fait Zoreille, ce qui n’est déjà plus le cas de ma copine à ma droite, fille de militaire, Blandine, qui restera bien après moi dans l’île. C’est elle qui m’a adressé la parole la première : « zot i coz créole » ? C’est mon premier souvenir de cette école de la Providence, Saint-Pierre, cote sud ouest de l’île de La Réunion, paradis perdu.

En voyant cette photo, je me souviens que Nathalie F. n’était pas du tout ma copine. Que Soraya l’est devenue plus tard, que Fabrice était amoureux de moi à un moment donné, et que moi j’aimais P., comme beaucoup d’autres filles. Dont Blandine bien sûr.

Je ne vois pas Karine, elle est arrivée plus tard, Josie, Annick, Jessy…

Tous les matins, à la récré, il y a des dames qui viennent avec une grande poubelle noire, remplie de lait au chocolat et elles nous en proposent. Moi, je n’en prenais pas, mon petit déjeuner avait été copieux, mais quelque fois j’y ai gouté. La sensation du gobelet en plastique délavé, un peu râpé sur les bords, me reste, autant que la fraîcheur du lait.

J’ai 10 ans, je suis en CM2, le début de l’année, le début de ma vie (et de la lecture de tous les livres du CDI).

Plage de Saint-Pierre

Le dimanche avec les parents, leurs amis, nous allons parfois à la plage, mais bizarrement je me souviens plus de la plage avec l’école, et du bateau avec les parents. Quand je voulais bien les suivre. Donc quand il n’y avait pas de métro à venir nous rejoindre, aussi blanc que moi les premiers mois et loin d’être amariné : tous, ils sont malades en mer et je déteste ça. Finalement je crois que j’ai pris l’habitude de garder mon frère et ma soeur plutôt que d’aller voir des lavette vomir.

Donc ce n’est pas moi qui ai pris cette photo tu te doutes, mais Evolution a tellement fait partie de notre vie que j’ai mission de le retrouver dans quelques semaines.

Alors, dans la journée je suis à l’école, le week-end je garde mes frère et soeur, comme les soirs de l’Ostéria.

C’est madame Lincou qui m’emmène à l’école le matin. Je l’attends devant le portail, je traverse le fossé quand elle arrive dans sa voiture verte, où P. fini de manger son petit déjeuner (un sandwich, au fromage je crois).

Je ne porte jamais plus qu’un pull même en hiver (juillet août), sauf si nous allons au volcan. Là, il faut se couvrir. Maman est sur une photo avec un pull en laine, crème et motifs marrons sur l’encolure, mais elle porte un short, on est sous les tropiques quand même. Je n’allais pas au volcan. J’étais ado. J’avais la flemme sans doute, je voulais lire. Je gardais mon frère et ma soeur, et David aussi.

Ma petite soeur, mon petit frère.
David, mon frère et moi. J’ai les cheveux courts, c’est plus pratique pour les poux….

David c’était le fils de Christian, un ami des parents, lui il ne vomissait pas en bateau, et David était devenu le quasi jumeau de mon frère. L’autre personnage de la photo, c’est Létchis, la jumelle de mon frère, l’inséparable. Elle est rentrée avec nous après.

Celle qui comptait le plus, qui était là tous les jours, qui me connaissait sans doute aussi bien que mes parents, c’est Amélie. Quand je rentrais de l’école, elle avait souvent laissé des beignets banane pour notre gouter. J’ai mis des années avant de savoir refaire ces beignets, avec le goût qu’il faut. Aujourd’hui, ma fille les faits, et mon autre fille et mon fils les adorent.

Amélie est à droite. Ce devait être au baptême de Frédéric, dont ma mère est la marraine.Je suis transparente à gauche, mais j’ai toujours les cheveux courts (même si je n’ai plus de poux).

Ces photos sont prescrites. Elles sont 35 ans.

Trente-cinq ans. Et je m’en souviens comme d’hier. Je portais une robe que j’adorais à ce baptême. Verte en bas et blanche en haut. Un vrai vert hein, pas pâlichon, non, le truc qui s’assume. Avec un motif blanc, une fleur je crois, qui se répétait. Je devine ma médaille, je ne la porte plus car je n’y crois plus, mais elle est magnifique, en émaux bleus et blancs.

Amélie a fait bien plus que des beignets banane. Elle était là, elle rangeait ma chambre sans me faire sentir ses soupirs, elle m’écoutait. Elle est venue en métropole avec nous une année, un été, est devenue copine comme cochon avec Mamie. Elles étaient aussi différentes que semblables, le même coeur à l’intérieur, le même sens de l’effort et de la peine, la même générosité. Amélie c’était ma mamie de substitution, et je pense à elle plusieurs fois par semaine. Sauf en hiver où jej ne pense plus à rien qu’aux cailloux.

Karine
Mes ami.e.s

Je suis partie en 87. L’année de l’ouragan. Je ne suis pas partie entière.

Toute la classe était là lors de la fête que l’on faisait avant les grandes vacances (en décembre) et toute la classe participait aussi à la sortie scolaire avec les profs. Il y avait une ambiance que je n’ai jamais retrouvée. J’ai dormi de nombreuses fois chez mes amies, les catholiques, comme les musulmanes, pendant le ramadan, aussi le Dipavali ou la marche sur le feu. J’étais comme eux, avec eux.

Il y a Blandine à côté de moi, il y a P. aussi. Tous ces noms qui effleurent ma mémoire, comme autant de doux souvenirs et oublis.

Je n’ai plus jamais aimé de la même façon ensuite, et rarement fait confiance. Et pourtant, bronzée comme j’étais, on me disait (en métropole hein) « mais vous n’étiez pas emportés par le vent dans vos huttes »? Marianne, douce Marianne avec ton carré Hermès et ton collier de perles de cultures, tais-toi donc, tu ne sais même pas de quoi tu parles…J’ai perdu ma peau brune un jour de janvier, 15 jours environ après notre départ, dans le bain, en une seule mue de peau, ce qui ne m’a pas rendue plus blanche pour autant.

Pourquoi s’attacher puisque tout s’en va un jour ?

Il faudra des années encore pour que je me réconcilie avec moi-même et ces douleurs, ces manques, cette peur de l’exil.

Ils sont tous là.

7 commentaires

  1. Merci pour ces mots mis sur les souvenirs.
    Ton texte est chargé d’émotions qui me parle tellement que j’en ai les larmes aux yeux.
    Belle journée et vivement ton retour dans ce paradis perdu.

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