Sur le fil

Je file de la laine, ou un bon coton. Un truc qui me file entre les doigts sur le clavier, ça m’échappe. Le feu brûle, un peu plus loin, pour éloigner des cordes, qui tombent de haut. C’est le point de chute, celui de l’arbre l’autre jour, sur la route, auquel j’ai échappé de peu grâce à une mauvaise lumière de phare. Quand un phare rouge clignote, c’est mauvais signe, tiens-le-toi pour dit.

J’ai perdu le fil, ce matin, je le cherche encore, en vain, j’avais des devoirs, des projets, un but, il s’est faufilé ailleurs, j’en filerais la métaphore sans filet.

Il pleut, il vente, je devrais m’y blottir, j’en frissonne.

Aucun grille pain de la maison n’est vraiment allumé, on y tient, on tiendra, je tiendrai, j’ai des pulls à la maille chaude, des chaussettes en laine torsadée, des bottes jusqu’au nombril, mais on ne dort pas en bottes, ça ferait fuir, au moins à sept lieues.

J’ai le temps de faire un rang, quinze mailles, avant de chercher une idée, ou de l’attraper au lasso, j’ai la longueur qu’il faut.

Cest trucs me chiffonnent, m’interpellent. On m’a demandé d’intervenir à une soirée causerie sur mon lieu de vie, qui est le lieu de vie de tant de gens, qu’on ne sait plus qui on est vraiment , voire même si l’on est d’ici. Je suis d’ici, ou presque, je suis chez lui, puis chez eux depuis 20 ans, je viens de là, plutôt, d’où sont mes parents, suis-je donc plus d’ici ou de là ?

On me demande de parler à propos de sujets que j’ai vérifiés en un temps, avant le confinement, quand je faisais relativiser les légendes, celles auxquelles tout le monde croit, les gens d’ici, pas moi donc.

J’ai perdu le fil de la vérité, il s’est fiché entre deux livres, entre deux pages ou deux archives, de celles qui défont les mythes et créent les rancoeurs. Ainsi on me demande un truc impossible, dire que oui, mais en fait non pas vraiment, en vérité je vous le dit, ce que vous croyez savoir n’est pas tout à fait vrai.

Je suis en mon coeur déchirée, pas vraiment d’ici (même si mes enfants y sont nés, mes grand-parents sont tellement d’ailleurs) mais attachée, tellement, que dire, parfois, déferait, écroulerait, aigrerait, du verbe « aigrer » produire de l’aigreur à l’intérieur. 

C’est pourtant une si petite chose qui n’a pas d’importance, ou plutôt si, peut-être pour celui qui n’a pas eu son mot à dire, n’a pas pu laisser sa trace, ni même un fil. 

Mais voilà, je n’ai pas envie de me battre, de m’affronter, de me confronter. Je n’ai envie que de laine à tricoter, que de mots à dessiner, ou d’idées à envoler. Parce que le monde me fatigue. Et peut-être un peu moi, aussi.

De fait, je ne suis pas arrivée. Ni rendue. Tout dépend si tu parles à la façon des autres ou à la façon d’ici. 

Je crochète encore un rang, entre temps, ça pose.

Il pleut, le soupir du chien le dit.

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