Pourtant le basilic

ll en faut peu, parfois pour se réconcilier.

De même qu’il en faut peu pour tourner le dos à la joie.

Il me semble qu’un 7 janvier que je n’oublierai jamais, j’ai basculé, dans le monde des adultes, dans le monde où rêver ne se fait qu’à la nuit tombée. Tombée noire, et sans lune.

Depuis, l’eau, la terre, le ciel.

Un jour aussi, j’ai réalisé que l’île, celle qui a une majuscule minuscule dans l’océan, celle que l’on doit regarder à la loupe à côté des plus grandes terres, celle que l’on surnomme aussi le caillou, comme l’autre, la petite soeur, cette île, avait des visages multiples, des facettes brillantes ou sombres, des moments anciens et nouveaux, cette île est une image qui m’appartient en propre et que jamais personne ne pourra ni me prendre, ni m’enlever, ni me changer tout à fait.

Il est des lignes que l’on franchit, sans jamais perdre complètement le nord, l’équateur, le tropique.

On aura beau dire, je ne changerai pas d’avis, celle qui a été, est encore, même fanée, il suffit de changer de perpective. Ou juste d’avoir bien vieilli.

Au pied de la fenêtre, un pied de basilic, ou deux.

Il est bientôt noël, ce jour où, petite, ma grand-mère m’a donné une orange. Ou presque.

Il est bientôt noël où tu veux gâter tes enfants, mais tu voudrais le faire de façon immatérielle. Pas dématérialisée, je hais ce mot, je l’abhorre chaque jour un peu plus, non, immatérielle, comme quelque chose qui se saisit, sans jamais se posséder, qui est là, de façon pérenne est indéfinie, un sentiment, un espoir, une lueur.

Je voudrais mettre au pied du basilic son parfum, et le dessiner au creux du poignet, pour qu’à chaque inspire, ils s’inspirent.

Parce que, vois-tu, l’autre jour alors que je voyais la pluie s’insinuer à l’envers de ma peau, dans le tréfonds caché du plus intime indicible, j’ai bougé le rideau qui, de sa couleur jaune essaie d’éclaircir le jour. La pluie qui menaçait, non, qui me noyait déjà, a sursauté au frôlement du tissu, au mouvement d’air fragile qui, de la pointe du point d’écoute du rideau, a effleuré les branches du basilic qui survit, lui, je ne sais comment. Ce léger passage, cette suspension virgule du flux de l’eau, en faisant vibrer une quelconque magie, a remonté le parfum de la feuille, peut-être la cinquième de la huitième tige, en tout cas, le parfum comme le haricot, a remonté le long de l’amure, dans la voile de la fenêtre, jusqu’à ma pluie intérieure.

Il était tout près le champ des cigales, le pesto qui pègue la spaghetti ondoyante, il était tout près l’accent de Firenze, roulant jusqu’au Dôme, il me réchauffait, de la pointe de son clair de soleil au coin d’une joue.

Parfois, il en faut peu des pleurs à la joie.

Il est bientôt noël et rien n’est résolu, tout se perd encore un peu plus, la solitude comme les multitudes, que ce soit dans la course d’un ballon, ou dans le tonnerre d’une bombe, dans le dessèchement d’une racine, dans le silence d’un oiseau.

Il est des jour où le dos d’une baleine t’émeut aux larmes, parce qu’elle a deviné que tu étais là pour elle, ou bien elle pour toi, une gracieuse, une élégante, une joyeuse, une pensante.

Et pourtant le basilic, en décembre comme en été.

Les saisons n’en finissent jamais qui te bousculent.

Hier, ou presque, j’ai découvert une petite fille que j’avais oubliée, que ses parents aimaient, et ses grand-parents aussi, et sans basilic. Puisqu’il s’agissait d’un potager, d’un bassin de poissons rouges et d’une plage éternelle avec une barque qui tournoie.

C’est bientôt noël et je voudrais que ceux que j’aime aient ce parfum au creux de la main, dès qu’ils en auront besoin, ou bien ce sentiment qu’un jour ils ont été précieux à quelqu’un, comme l’air qu’on respire.

Cela pourrait être le basilic ou la pulpe d’un letchis. Un petit rien, celui qui fait rester du bon côté de la ligne.

Une baleine de bien.

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